• Njall et Dita

     

    Il y a de cela fort longtemps, vivait dans le Nord un couple de braves gens. Elle, se louait dans les fermes lorsque venaient les fêtes, travaillant en cuisine comme nulle autre n’aurait pu le faire. Dita, vous cuisait des volailles à la broche, toujours craquantes et croustillantes dehors, tendres et juteuses dedans, faisait des soupes qui vous mettaient l’eau à la bouche rien que d’y penser. Ses pains étaient dorés comme le blé, odorants comme la gourmandise et ses gâteaux auraient faits traverser une rivière en crue au plus timoré des gourmets. Lui, ne rechignait pas à la besogne, bûcheronnant lorsqu’il le pouvait, charroyant des pierres,  quand il le fallait. Njall était un grand gaillard si costaud qu’il portait un âne sur 100 pas, débitait une montagne de bois en une matinée mais toujours aidant son prochain avec frémissant au coin de la bouche un éclat de rire tonitruant. Souvent il ramassait les petits oiseaux, posait une attelle à un écureuil ou un lapin blessé et cueillait à l’occasion une fleur pour sa Dita.

     

    Ils vivaient heureux dans leur petite maison troglodyte, coincée dans la falaise, un pan de façade maçonnée les protégeait du froid, de la chaleur et de tout ce qui est mauvais pour l’homme. La falaise coupait la forêt en deux. D’une part, en bas se trouvait le village, la rivière et une vaste portion de bois, mais au dessus, ce n’étaient que futaies sauvages et animaux ne connaissant même pas l’homme. La maisonnette possédait une pièce commune servant de cuisine et d’atelier. Derrière venait la chambre adossée à la cheminée, et à l’arrière encore s’étendait un réseau de petites cavernes reliées par des tunnels étroits. Ces cavernes servaient : l’une à entreposer fagots et branches glanées au long de l’année ainsi que quelques stères de bois pour faire face à l’hiver, dans les autres, sèches et fraîches ils entreposaient des victuailles, farine, viande séchée ou salée, le plus souvent du poisson pêché dans les clairs ruisseaux, un peu de sel obtenu en paiement. Un peu plus loin dans la falaise une autre grotte servait d’abri pour une chèvre et quelques poules. Ils n’étaient pas riches mais se satisfaisaient de leur sort, leur seul regret était de n’avoir point d’enfant. Mais ils avaient toute une cohorte de neveux et nièces qu’ils s’évertuaient à gâter pour l’An Neuf, lequel tombait au solstice d’hiver. Oh, leurs cadeaux n’étaient pas de prix, mais c’étaient des cadeaux utiles, faits avec cœur, ou des petits riens donnant du bonheur à ceux qui les recevaient, poupées de bois, petits sabots sculptés, berceau pour les jeunes couples, coffret, toutes choses faites dans du chêne ou du résineux, car Njall était habile à travailler avec gouges rabots et burins. Aussi à chaque fois qu’il le pouvait, il se réservait une part, dans ses coupes d’arbre. Il aimait à sculpter là où c’était le plus difficile, dans les nœuds, les embranchements, tirant les formes les plus surprenantes et les objets les plus vivants de ces bouts de bois tordus.

     

    Un soir d’automne comme il rentrait plus tard que de coutume, ayant été repérer des arbres bons à abattre pour le compte du propriétaire de la scierie, il entendit un gémissement volant dans les branches des arbres, repris par le vent, porté de brin d’herbe en brin d’herbe. Un pleur doux et désespéré qui vous fendait l’âme et vous faisait verser des larmes de sang. Les écureuils sortaient de leurs trous et regardaient, scrutaient entre les arbres, les oiseaux voletaient en vols brisés entre les feuilles rousses, les lapins inquiets se dressaient sur leurs pattes arrières. Njall se dirigea vers l'origine du son. Il eut tôt fait d’arriver dans une clairière oubliée et alors que les derniers rayons du soleil illuminaient la scène il trouva une minuscule fée, la jambe emprisonnées dans un collet. Elle avait tiré de toutes ses forces sur la cordelette pour se dégager, ses mains étaient toutes écorchées et sa jambe bleuie la faisait souffrir le martyre. Sa baguette tombée trop loin ne pouvait l’aider. Elle était assise, pleurant en tenant la jambe entre ses mains, la tête basse, désespérée. Quand elle vit Njall, affolée, elle essaya à nouveau de se libérer, s’évanouissant de douleur. Njall en profita pour défaire le collet et libérer la petite prisonnière. Il l’enveloppa dans un pan de sa chemise, ramassa la baguette et se dépêcha de rentrer chez lui.

     

    Dita massa doucement la jambe de la fée, lui prépara un couchage dans une vieille chemise bourrée de mèches de laine. Elle réchauffa un peu de lait de chèvre et cassa une noix. Nettoyant l’intérieur de la noix elle y mit le lait et posa le tout à côté du lit improvisé avec la petite baguette. Quand la fée se réveilla, au point du jour, elle but à toute allure, tenant la coquille à deux mains et s’emparant de la baguette se souleva dans les airs, voletant de droite et de gauche dans la pièce, inspectant les petites poupées de bois vêtues de tuniques tissées en laine de brebis, les sabots des enfants, le berceau prévu pour un bébé à naître, les outils du bûcheron, gouges, burins, ciseaux, puis les quelques ustensiles de cuisine, marmite, crémaillère, louches, enfin le fuseau, la quenouille et les aiguilles de  Dita. Puis riant silencieusement elle braqua sa baguette d’abord sur une gouge étroite servant à finir le travail de sculpture enfin  sur la quenouille. Njall et Dita arrivèrent juste au moment où une lumière blanche sortie de la baguette pénétrait dans les deux objets. Et la petite fée sans nom disparut. Dans un grand sourire.

     

    Au début Njall et Dita ne savaient trop quoi penser et n’osaient pas toucher ni à la gouge ni à la quenouille mais le mauvais temps s’installa et ils furent bloqués chez  eux. Dita devait absolument filer de la laine et tisser une couverture pour un petit neveu. Avec un drôle de pincement au cœur, elle s’installa, coinçant la quenouille entre ses genoux, elle commença à filer. Et tout était normal. Puis elle se mit à tisser, et tout était normal. Au début. Puis … elle tissait, tissait, et … la quenouille ne se dégarnissait pas, jamais. Elle se demanda comment elle allait faire si elle voulait remplacer la laine par du lin ou du chanvre. À peine avait-elle pensé cela que  du lin, puis du chanvre avait remplacé la laine. Très vite dans la journée elle apprit à varier la matière et la couleur du fil. Fascinés Njall et elle admiraient la quenouille enchantée. En fin de soirée Dita poussa son époux du coude :

    «À toi, mon homme, essaye la gouge.» Embarrassé Njall se demanda bien ce qu’il pourrait faire. Cette gouge-là, il ne s’en servait que pour fignoler le travail lorsqu’il sculptait de petits personnages, poupées, lutins ou animaux. Puis il se décida pour un bout de chêne tordu dans lequel il voyait se dessiner la silhouette d’un lutin farceur. Il travailla vite, à son habitude, très tôt il eut terminé le plus gros et attaqua les finitions. Aussi intimidé qu’avait été Dita devant la quenouille, il prit sa gouge. Elle lui sembla plus légère et brillante qu’auparavant. Elle rentrait dans le bois avec facilité, la main forçant à peine. Quand il eut terminé la statuette, il posa la gouge, se recula admira son travail en louant l’extraordinaire précision de l’outil. Satisfait de ce que son ouvrage avancerait vite. C’est là que la statuette s’anima. Le lutin tourna la tête, cligna de l’œil, et fit un superbe saut arrière. Dita se précipita, offrant un peu de pain et de lait :

    « Petit bonhomme, tu dois mourir de faim »

    Le lutin renifla le lait, la nourriture et se détourna.

     

    Durant les jours qui suivirent il apprit à parler, suivant Njall, observant tous ses mouvements. Le lutin ne mangeait pas, ne buvait pas, ne dormait pas et ne parlait que très peu. Mais il riait souvent. Un jour Njall bloqué par le mauvais temps fabriqua une quenouille pour une petite nièce. Au matin, il trouva le lutin en train de fabriquer sa quinzième quenouille. Toute la nuit il avait travaillé refaisant les gestes de Njall. Un peu embêté celui-ci lui expliqua que le stock de bois sec n’était pas inépuisable.  Le lendemain le lutin très fier se trouvait devant la maison avec un stock de bois débité et séché. Njall affolé se demandait comment expliquer au propriétaire de la forêt une telle dévastation et comment ne pas être accusé de vol. Il remonta les pistes du lutin espérant un peu que la coupe aurait été effectuée chez un propriétaire compréhensif. À son grand soulagement le bois venait d’en haut de la falaise, les bois n’appartenaient à personne là-haut, même le seigneur de la contrée n’y faisait pas valoir ses droits. Toutefois que faire des petites quenouilles ? Une seule solution les offrir à d’autres fillettes. Mais que diraient les autres et les garçons ? Faudrait-il donc faire un cadeau à tous les enfants du voisinage ? Et pourquoi pas, après tout ? Le village était pauvre et peu de parents offriraient un présent à leurs enfants. Lui avait un lutin prêt à l’aider et … qui sait si le miracle s’étant produit une fois ne se reproduirait pas ? Il sculpta un second lutin. Une lutine mutine pour être exact. Et elle prit vie aussi. Très vite elle apprit les mêmes choses que son petit compagnon qui déclara, un jour, s’appeler Frode et baptisa la lutine Holda. Le travail avançait vite, et l’hiver s’annonçait rude. Il y eut d’autres lutins et lutines Leif,  Randi, Inge, Hilda, Gudrun. Les cadeaux s’amoncelaient : luges, poupées, patins, skis, châles, tuniques (la quenouille avait fourni de la laine en quantité), bijoux en bois, barrettes et tout ce que l’imagination attentionnée du couple avait créé.

     

    La nuit du solstice, le 21 décembre, Njall voulut aller déposer ses présents devant les portes des maisons où vivaient des enfants. Las, une tempête de neige violente s’abattit sur la région. Rien n’y faisait, il eut été trop dangereux pour Njall de sortir par une telle nuit et les lutins ne connaissaient que la forêt. Déçu Njall se résigna, le lendemain la tempête était toujours aussi violente et Njall se rendit compte que de toute façon il ne pourrait  transporter son joyeux fardeau dans une telle profondeur de neige. Il réfléchit toute la journée, mais ne vit aucune solution. Dita lui demanda : «Ne pourrais-tu sculpter des mules ou des rennes avec la gouge, afin de tirer la schlitte.»

    «C’est une bonne idée femme, mais je n’ai pas assez de bois  pour cela je ne pourrais guère sculpter que des petits chiens»

    Le 22 au soir il se coucha déçu pour les enfants du village. Mais dans la nuit il eut une idée qui le fit se lever au matin  tout vibrant d’espoir et d’impatience. Sans même prendre son bol de soupe, il se jeta dans le travail. Toute la journée il s’affaira dans le froid. Le soir, le plus gros de l’ouvrage était fait. Huit ébauches de  rennes sculptés dans la neige se dressaient fièrement devant la maison Il ne restait qu’à finir le travail, mais la nuit tombait. Cela fut remis au lendemain. Le soir, affamé et transi il espéra de toutes ses forces que la gouge saurait aussi bien insuffler la vie dans de la glace que dans du bois.

     

    Au matin du 24, il se remit à l’œuvre, utilisant cette fois-ci la gouge enchantée. Et le miracle eut lieu, les rennes s’animèrent. Mais la schlitte était peu adaptée au transport de tous ces petits paquets. Amoncelés dessus, ils s’effondraient et tombaient. Alors, en désespoir de cause, Njall sculpta un traîneau avec tout ce qu’il faut : patins, freins, guides, banc et  ridelles. Il acheva la sculpture avec sa gouge, se demandant comment un traîneau pouvait prendre vie. Alors l’impensable eut lieu, le traineau de glace devint de bois, puis se souleva. Bien qu’étonné il attela les rennes et eux aussi décolèrent. Chargé de tous les joujoux, le traineau continua de planer  et les rennes de piaffer 3 pieds au dessus du sol. Njall passa une partie de l’après midi à se familiariser avec cet  étrange équipage, et à la nuit tombée s’envola vers le village. Avant de s’en aller, sa douce Dita lui apporta une immense houppelande verte, chaude et bordée de laine blanche.  Pendant une grande partie de la nuit, aidé de 2 lutins, il déposa le fruit de son patient travail devant les portes enneigées. Au matin, ce ne fut que rires et cris extasiés dans tout le village, et le vent porta le bruit de cette liesse jusqu’à la maison sous la falaise. Njall se réjouit infiniment et Dita en pleura de joie.

    Un an plus tard, jour pour jour,  il recommença, étendant sa distribution aux villages voisins, et l’année suivante encore et l’année suivante, allant toujours plus loin. Bientôt les lutins envahirent les cavernes, creusèrent la falaise, travaillant nuit et jour toute l’année, tant de joujoux, tant de bonheur pour les enfants. Et cette immense vague de joie le 25 décembre au matin conserve en vie Njall et Dita, le temps qui passe dépose seulement de la neige dans leurs cheveux, et recouvre leur vert pays d’un manteau blanc, et cela durera tant que les enfants seront heureux de recevoir des cadeaux et croiront aux lutins, aux fées et à Père Njall.

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    NJALL (iro-scandinave) - nom de l'époque des Vikings amené en Normandie par les Norvégiens d'Irlande. Attesté en Normandie dans le nom de lieu Néhou et le nom de famille Néel (et peut-être Noël).

    DITA (franc) - diminutif féminin des noms en dit-.

    FRODE (scandinave) - « intelligent, avisé »

    HOLDA (scandinave, franc) - « gracieuse, indulgente, favorable »

    LEIF (prononcer Leïf - norvégien) - « descendant, fils ». Leif Erikson (mort en 1025), fils d'Érik le Rouge, partit du Groënland et découvrit l'Amérique. Les Américains fêtent cette découverte de l'Amérique par les Vikings chaque année avec le «Leif Erikson Day», le 9 octobre.

    RANDI (scandinave) - « le bouclier ».

    INGE (prononcer Innegue - scandinave) - « la jeune » ou « celle qui est dédiée au dieu Ing »

    H1LDA (scandinave, franc) - « la guerrière » - attesté en Cotentin.

    GUDRUN (prononcer goudroun) - (scandinave) - « le secret des dieux », ou « gardant le secret au combat » (gund-rûna)

    Vert Pays : Le Groenland (prononcez /gʁɔɛn.lɑ̃d/, écrit Groënland dans la graphie française d'avant 1850, Grønland en danois «terre verte»



     

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  • Commentaires

    1
    Lundi 28 Novembre 2011 à 05:42
    Odile

    Jolie histoire !!!!

    Un peu longue à lire pour moi le matin... je reviendrai dans la journée... 

    2
    Lundi 28 Novembre 2011 à 06:09
    gateuxrigolo

    tu nous cote encore un bien joli conte careli bisous

    3
    Lundi 28 Novembre 2011 à 06:58
    Aline

    Merci...tout simplement...Bisous

    4
    Lundi 28 Novembre 2011 à 07:13
    kiwi

    J'adore ses contes qui me rapelle ma jeunesse quand je dévorais ce genre d'histoire  :)

    5
    Lundi 28 Novembre 2011 à 08:34
    sylvie2841

    très joli conte merci

    6
    Lundi 28 Novembre 2011 à 09:24
    careli

    à tout à l'heure alors.

    7
    Lundi 28 Novembre 2011 à 09:27
    careli

    Merci. Je suis bien contente que mes petites histoires plaisent.

    Bises

    8
    Lundi 28 Novembre 2011 à 09:33
    careli

    De rien ... c'est moi qui suis contente que mes historiettes plaisent.

    Bonne semaine

    9
    hmk
    Lundi 28 Novembre 2011 à 09:50
    hmk

    merci pour l'histoire et tes recherches bonne journée

    10
    Lundi 28 Novembre 2011 à 09:52
    careli

    Ben moi ... je les écris ... suis restée gamine, quoi !

    11
    Lundi 28 Novembre 2011 à 09:56
    kiwi

    Tu devrais te faire éditer , c'est trop bien , alors un + 1 ma belle :)

    12
    Lundi 28 Novembre 2011 à 10:05
    careli

    Merciiii

    Bises et bonne semaine

    13
    Lundi 28 Novembre 2011 à 10:23
    careli

    De rien, ça me fait plaisir.

    Bonne journée

    14
    Lundi 28 Novembre 2011 à 10:24
    careli

    Ben ... c'est pas si simple de se faire éditer, alors bon ...

    Puis j'écris pour le plaisir. Parfois rien pendant des mois, parfois, ça n'arrête pas.

    Merci pour le +1

    15
    Lundi 28 Novembre 2011 à 17:57
    ginette

    merci beaucoup, c'est très joli, même étant grand mère j'ai pris du plaisir à lire. bisous

    16
    Lundi 28 Novembre 2011 à 18:24
    careli

    Merci, c'est gentil

    Bonne soirée

    Bises

    17
    Lundi 28 Novembre 2011 à 19:16
    zibou

    tu es géniale , tu es sûre que tu n'es pas un auteur célèbre  qui se cache , pour je ne sais quelle raison , mais tu es vraiment très douée , bravo,

    c'est mieux que tout ce que j'ai lu sur le père et la mère noël

    18
    Lundi 28 Novembre 2011 à 19:20
    careli

    chuuuut

    je suis un congé nito !!

     

    Merciiiii

    19
    Lundi 28 Novembre 2011 à 19:33
    zibou

     je me disais aussi!!!!!!!!

    20
    Lundi 28 Novembre 2011 à 19:43
    careli

    Chuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuut te dis-je !!

    21
    Lundi 28 Novembre 2011 à 23:36
    Joelaindien

    très sympa!

    22
    Mardi 29 Novembre 2011 à 09:21
    careli

    Merci.

    Bonne journée et bonne semaine

    23
    Mercredi 30 Novembre 2011 à 13:14
    Virginie

    MAgnifique cette histoire !! Et tellement d'actualité !!

    Bravo, tu écrit drôlement bien !

    Gros bisous

    24
    Mercredi 30 Novembre 2011 à 15:17
    careli

    merciiiiiiiiii

    je :

    Bonne journée. Bises

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